Cahier dessin vol.2 (Journal de l'artiste-peintre)
Ce deuxième volume est dédié à mon ami, le peintre Pierre Lussier, de Québec.
Chronique d'un dessinateur de Québec
J'ai commencé en septembre 2016 un petit projet à la fois laborieux et plaisant qui consiste à remplir un cahier à dessin. Je disperse souvent mes dessins, je m'en veux de ne pas suivre une discipline de rangement qui puisse me permettre, d'une part, de les retrouver facilement et, d'autre par, de leur fournir un certain mode de classement. Je me suis donc mis en tête de remplir, page par page, un cahier sans détacher les feuilles et ainsi de conserver chaque dessin. Alors que j'avais pris cette décision, il m'est venu naturellement l'idée d'intituler ma démarche et le support "Cahier dessin" pour en souligner l'unité. J'ajoute que c'est un ami qui m'a fait cadeau de ce cahier et que peu de temps après ma décision, il est venu m'en apporter quelques autres, alors je lui ai fait part de mon projet, qu'il a salué avec enthousiasme, il va s'en dire. Tout en saluant à mon tour mon entreprise, j'ai réalisé que cette manière de procéder m'ouvrait sur quelques perspectives avantageuse pour mon travail quotidien qui n'est autre que la fabrication d'images avec les moyens traditionnels. Un papier, un crayon… Traditionnel oui, en quelque sorte vu que j'ai, depuis quelques années, la manie de me servir du stylo à bille. Si j'ai l'envie, mais pas la force d'écrire un «traité du stylo à bille», du moins dans ces cahiers, je peux réunir toutes les manières d'exploiter cette drôle de plume. Bien que le stylo offre des qualités qui lui sont propres, c'est toujours les mêmes motivations qui s'offrent, à savoir les caractéristiques d'un dessin, c'est-à-dire le trait, l'âme du dessin. Il est étonnant de constater à quel point une réalité si simple, si évidente, peut prendre des dimensions variées lorsque l'on la considère du point de vue de l'expression. Cela engage d'abord la connaissance directe de la technique. Je ne pense pas qu'un jour, un artiste puisse se considérer satisfait de son trait, de la ligne qu'il trace sur le papier. Tellement de choses dépendent de ce simple geste ! À y voir de plus près, je pense que c'est la main qui, par son caractère et j'ose même dire par ses humeurs, affronte les variations en indiquant le chemin. Je veux dire que la main n'étant jamais neutre, traduit instantanément la nervosité du moment. Sans oublier qu'elle doit être stable, confiante, sûre, prévoyante. Et l'œil dans tout ça ? Il joue le rôle de surveillant, de contre-maître. Ainsi la main du dessinateur assume un rôle très important. Et ce rôle est au service du trait. L'art de bien tracer une ligne est une entreprise qui ne manque pas de mystère, si j'ose dire. À voir les choses rapidement, on ne s'aperçoit pas de toutes les difficultés que cela engage. Cela laisse entendre que plus une chose est simple, plus notre esprit s'interroge. Cette simplicité découle à mon avis de la pureté formelle de la ligne qui, contournant une figure, tente de la situer, de l'évaluer, de la rejoindre.
Je me suis attardé longuement sur des considérations quelque peu abstraites, je reviens donc sur mon projet. Plus j'avance en art, plus je suis surpris. Chaque chemin n'est au fond que le prétexte d'un carrefour. De mille et unes idées que je brasse dans ma cervelle de peintre, toutes ne me semblent pas avouables sur le papier. Je tente souvent de me défaire de cette auto- censure. Or, pour ce qui est de mon projet, je me laisse aller, j'explore sans arrière-pensées, je laisse tout tomber, allègrement ! J'ai quand même beau briser toutes les barrières, je reste accroché à mon style, mais avec des variations amusantes et des surprises agréables. La nouveauté entre dans la routine, mais c'est la routine des artistes, ces inventeurs de fantômes, ces chroniqueurs de nos sentiments cachés. Ainsi mon projet ressemble quelque peu à un journal d'écrivain, mais fait avec des «morceaux d'âme» d'une alchimie destinée à n'être que vue où les images se prennent pour des réalités fabuleuses, alors que du point de vue de la cause matérielle, elles ne sont que des taches ou des lignes. Un journal optique, un lieu où les sentiments les plus divers et les moins avouables viendraient se blottir et former un tout, en décrivant, au jour le jour, les chambres secrètes de mon âme. Je vois une grande maison, presqu'un château, où chaque page serait une pièce et chaque pièce un état d'âme.
Il reste maintenant à situer de plus près le fait que j'ai décidé exclusivement le stylo à bille dans mes cahiers. La raison est simple, ça me plaît. C'est un outil qui possède une certaine rapidité du fait qu'il répond à la moindre pression. Il offre la possibilité d'effectuer des traits légers et plus accentués en un tour de main, c'est le cas de le dire ! Et comme il existe plusieurs couleurs, le choix repose soit pour un résultat monochrome ou fait de deux, trois, voir quatre choix de couleurs. De plus l'encre du stylo résiste à la décoloration, contrairement à certains types de crayons offerts sur le marché, comme le feutre. L'encre du stylo ne risque pas d'endommager le support, ce qui est un avantage certain. Or d'autres mots, si l'on décide de fabriquer quelque chose, le mieux est de s'arranger pour que ça dure, ça va de soi. Par la manière de tirer le trait et de croiser les lignes, on m'a fait remarquer que mon travail avec le stylo ressemble à la gravure. C'est vrai. Je suis pourtant parti du travail à la plume effectué par un artiste québécois, Jean-Luc Grondin. Cette inspiration remonte à loin, je devais avoir 12 ou 13 ans et je me régalais de ses illustrations d'oiseaux. Cet ouvrage est paru au début des années '70 et s'intitule "Les oiseaux du Québec" de Raymond Cayouette et qui se voulait un peu la suite de "Charmants voisins" de Claude Mélançon.